Revenir à Marx pour redonner tout son sens à la gauche
.par Jean-Paul LEGRAND
Ce que revêt le concept de gauche est très divers et de nombreuses acceptions peuvent en être données. Je pense qu'il faut resituer ce concept dans des situations historiques et
géographiques précises. Ainsi la gauche des Etats-Unis n'est pas de même nature que la gauche française du fait même que la France a connu une influence du PCF qui a imprégné toute la culture et
les traditions de la gauche de notre pays. Ceci étant, je crois qu'on peut dire qu'en général, la gauche peut se définir en rapport à tout un corpus de valeurs dans lesquelles des
millions de gens se sont reconnus à travers les luttes des deux derniers siècles : la paix, l'amitié entre les peuples, l'antiracisme, la lutte anticoloniale, l'abolition de
l'esclavage, le mouvement coopératif, le syndicalisme de classe, la laïcité, l'autogestion, le féminisme, etc..Bref tout ce qui en s'opposant aux "eaux glacées du calcul égoïste"
considère que le développement de l'humanité passe par le développement de chaque être humain. Pour moi la gauche ce sont tous ces hommes et femmes qui rejettent l'idée d'une fatalité des
inégalités sociales, qui se donnent pour objectif d'agir sur les causes de celles-ci, qui combattent l'idéologie selon laquelle elles auraient des causes naturelles
indépendantes des hommes, qui travaillent pour que la société devienne comme disait Karl Marx" une association où le libre développement de chacun soit la condition du libre développement de
tous.
Le Parti socialiste en France s'est réclamé depuis longtemps de la gauche. Or depuis plusieurs années il a abandonné sa thèse des nécessaires réformes pour dépasser le capitalisme pour
adhérer à celle de la régulation du capitalisme. On a vu dans la logique de cette évolution, la plupart des dirigeants de ce parti adopter sous couvert de réalisme ce que certains ont
nommé le social-libéralisme et même un nombre non négligeable d'entre eux rejoindre le gouvernement de droite. Autrement dit le P.S a opté pour un accompagnement du capitalisme qui consiste à
trouver les meilleurs moyens pour que les diverses forces sociales collaborent, trouvent un "modus vivendi" qui serait supposé permettre au capitalisme d'être moins sauvage. Mais la
réalité contredit chque jour cette thèse, le capitalisme développe une inhumanité sans précédent dans l'histoire touchant les plus larges masses d'individus sur la planète partout où il
n'y a pas une volonté majortitaire des peuples à rompre avec lui dans encore de trops rares endroits comme le Venezuela ou Cuba.
De son côté, victime idéologique de l'écroulement des sociétés de l'Est qui se réclamaient du communisme, déstabilisé par les rapides modifications sociologiques intervenues
dans la classe ouvrière notamment avec les mutations qui ont eu cours dans le travail ces dernières décennies, et affaibli par ses difficultés à théoriser ces
évolutions pour en tirer des enseignements et des conséquences pratiques quant à ses formes d'organisation et quant à ses alliances, le Parti communiste a connu une baisse
d'influence considérable même si il se donne toujours comme objectif le dépassement du capitalisme et qu'il a procédé à une avancée théorique majeure sur la démocratie la
considérant comme le moteur et le but de la transformation.
Les organisations troskystes, quant à elle, se réclamant de la rupture avec le capitalisme, n'ont pas davantage pris en compte les évolutions de la nouvelle classe ouvrière et n'ont que très peu
avancé sur le plan théorique, la plupart étant même très en retard sur le parti communiste concernant les questions relatives à la démocratie considérée comme but et comme moyen de la
transformation sociale. Même si une organisation comme la LCR a pu progresser sur le plan électoral en bénéficiant de la crise de la gauche traditionnelle, elle reste prisonnière d'une
stratégie qui place la création d'un parti de la gauche radicale en termes politiciens de positionnement vis à vis du Parti socialiste éloigné de l'idée fondamentale de mouvement
populaire majoritaire sans lequel il ne peut y avoir de transition au socialisme.
Pour autant si les valeurs de gauche perdurent du fait de la portée historique de la Révolution française, des grandes luttes et conquêtes sociales notamment celles issues de la la
Résistance, les idées de transformation sociale pour des secteurs entiers de la société peuvent aujourd'hui paraître comme dépassées car elles
semblent davantage provenir du passé que d'apporter une compréhension du présent. Or si le présent ne peut s'appréhender qu'à partir de l'histoire, force est de constater que les
forces démocratiques n'ont pas placé comme priorité de l'éducation populaire la question de la transmission des savoirs historiques et notamment de l'histoire de la classe
ouvrière, des mouvements d'émancipation, en particulier des luttes anti-coloniales, anti-impérialistes. L'analyse sérieuse de l'échec des pays dits communistes reste elle aussi une affaire
très confidentielle et pour l'instant la gauche n'en a que très peu popularisé des enseignements qui sont pourtant indispensables au mouvement populaire pour ne pas reproduire les
erreurs du passé : entraîné par le courant de l'idéologie dominante néo-libérale on s'est souvent limité à gauche à assimiler cet échec à celui du communisme. Dans ce contexte, les
forces réactionnaires des complexes médiatico-idéologiques ont entrepris une vaste entreprise contre les valeurs de gauche, contre toutes les idées progressistes en favorisant un nouvel
obscurantisme, allant jusqu'à contester voire censurer la pensée scientifique, le matérialisme philosophique, et tout particulièrement le marxisme en l'assimilant aux régimes qui se
sont dits communistes mais dont la pratique d'un "marxisme" qui n'en avait que le nom les a conduits au terrible échec historique que l'on connait.
Le recul du marxisme vivant comme outil théorique et pratique pour comprendre et transformer le monde est l'une des difficultés pour générer une connaissance dialectique
des mouvements sociaux, une compréhension de la lutte des classes dans ce capitalisme mondialisé, qui devient de plus en plus un carcan pour la révolution informationnelle et technologique
en cours, laquelle mobilise des centaines de millions d'être humains et modifie en profondeur leur place, leur rôle au sein des forces productives de notre temps.
La gauche est donc à la croisée des chemins : ou bien elle se régénèrera dans un sursaut par lequel, à la lumière du marxisme et de toutes les pensées progressistes, de nouvelles idées
révolutionnaires et d'émancipation deviendront l'affaire de millions d'hommes et se transformeront en luttes démocratiques et libératrices ou bien elle ne sera plus qu'un
vestige de la société capitaliste industrielle laissant la place à un capitalisme mondialisé essentiellement financier générateur de guerres, des pires violences de masse et d'une
exploitation de l'humanité jamais atteinte.