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Politique, culture, éducation, formation pour la vie démocratique - blog créé le 10 mai 2006

Marxisme vivant

karlmarx_kiffe.jpgMarx n'est pas mort 
par Yvon Quiniou

L'ombre portée du socialisme soviétique nous interdisait de comprendre intelligemment son projet.

''Parmi les différentes idées reçues sur Marx qui déforment considérablement sa pensée, il y en a une qui, en un sens, les résume toutes: celle que son projet politique est mort et, avec lui, les analyses économiques, sociales et politiques qui le fondaient. Ce préjugé est massivement partagé et répercuté par les médias et nombre d'hommes politiques qui ne cessent de déclarer le communisme défunt depuis la chute des régimes de l'Est, ce qui suppose que l'on identifie le premier aux seconds. Là est précisément l'erreur, qui empoisonne le débat à gauche non seulement en France mais en Europe en interdisant de rouvrir une perspective anticapitaliste à la fois attractive et crédible: l'assimilation du projet communiste à ce qui s'est fait en son nom au XXe siècle à partir de la révolution bolchevique de 1917.Les régimes qui en sont issus, directement ou indirectement, ont imposé l'image d'une économie souffrant d'un déficit flagrant de productivité, d'une société encadrée par un Etat tout-puissant et étouffant l'initiative individuelle, d'institutions politiques, enfin, ne respectant pas les principes élémentaires de la démocratie. Or tout cela contredisait la pensée profonde de l'auteur du Manifeste du Parti communiste.

Pour lui la révolution communiste ne pouvait réussir que dans les conditions du capitalisme développé, à partir de ses acquis propres et, spécialement, à partir du haut niveau d'efficacité technologique qu'il est capable d'atteindre. Elle supposait un mouvement largement majoritaire d'une immense masse de salariés liés, d'une manière ou d'une autre, à la grande industrie et victimes du mode capitaliste d'appropriation de la richesse produite. Enfin, la revendication de la démocratie est au coeur de son projet (ce que la notion de «dictature du prolétariat» a malheureusement masqué): il n'y a pas un mot, je dis bien un mot, contre l'idéal démocratique dans toute son oeuvre et, s'il a critiqué les illusions que l'on peut se faire à propos de celui-ci, c'est parce qu'il ne voulait pas le cantonner à la sphère politique (entendue au sens étroit des mécanismes de pouvoir) mais l'étendre à l'ensemble de la vie sociale et économique à travers la maîtrise collective de la production. C'est dire aussi que le souci de l'épanouissement de l'individu est constitutif du communisme: Marx l'emprunte au libéralisme classique, mais il en précise avec une profondeur inégalée les conditions concrètes d'accomplissement chez tous, qui passe par l'abolition de l'exploitation de l'homme par l'homme.

On voit alors tout l'intérêt qu'il y a à revisiter Marx une fois que l'ombre portée du socialisme de type soviétique sur lui s'en est allée, qui nous interdisait de comprendre intelligemment son projet et fournissait à beaucoup un prétexte commode pour le rejeter. L'actualité de son analyse du capitalisme saute aux yeux. Le Capital ne décrit pas une société particulière-la société anglaise du XIXe siècle-qui ne serait plus là mais explique les lois de fonctionnement et d'évolution d'un mode de production seulement embryonnaire en son temps, qui envahit aujourd'hui la planète tout en se renouvelant dans ses formes concrètes, et dont les effets qu'il a analysés sont de plus en plus présents: exploitation économique que la croissance des inégalités révèle partout, oppression sociale que la souffrance au travail (par exemple) manifeste d'une manière criante, domination politique que la sous-représentation des intérêts populaires traduit, aliénation individuelle enfin puisque les membres des classes dominées n'ont toujours pas accès aux formes les plus exaltantes de l'existence et se voient spoliés d'une part de leur humanité. A quoi on peut ajouter la crise écologique dont l'emprise de la recherche du profit sur les activités, qu'il a dénoncée, est la cause évidente. 

La solution politique qu'il nous propose, restituée à sa signification pleinement émancipatrice dans tous les domaines indiqués, apparaît alors sous son vrai jour, que le «marxisme- léninisme» aura tragiquement obscurci: elle est à la fois attrayante sur le plan du désir ou du bonheur (la grande majorité a beaucoup à y gagner) et elle est exigible sur le plan moral (l'exploitation capitaliste n'est pas supportable). Mais, surtout, il doit être clair que le test de son impossibilité historique n'a pas eu lieu puisque aucun régime politique n'a jusqu'à présent expérimenté le communisme dans les conditions exactes que Marx préconisait et qui seules pouvaient en assurer le succès: le communisme n'est donc pas mort puisqu'il n'a existé nulle part. A l'inverse, les réformes que le socialisme démocratique européen (en y incluant l'apport des communistes) a pu imposer au capitalisme au XXe siècle nous montrent que l'on peut substantiellement améliorer la vie des êtres humains quand on s'en prend au poids sans partage de la propriété privée dans l'économie: elles nous montrent une voie à suivre qui me paraît donner raison à Marx, à condition ne pas s'arrêter en chemin.''

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