Réflexion rédigée par Jean-Paul LEGRAND (nouvelle version après consultation de camarades)
Ces dernières années le PCF a de façon significative perdu de nombreux militants ouvriers pour diverses raisons ce qui a modifié sa composition sociologique. Or même si la part de la classe ouvrière a diminué dans la population active celle-ci est évaluée aujourd’hui à environ 6 millions de personnes soit 21% de la population active.
Les effectifs des ouvriers communistes formés au corpus d’un marxisme-léninisme officiel du PCF avant 1970 ont disparu par le fait du décès de ces militants et il n’y a pas eu de transmission de masse de l’expérience théorique et pratique vers les générations ouvrières actuelles en raison en partie de la désindustrialisation capitaliste mais surtout du révisionnisme progressif de la période 1968-1993 qui a eu son apogée avec Robert Hue, période sur laquelle nous devons impérativement revenir pour analyser les causes externes et internes du déclin du parti. Il est incontestable que le nombre de responsables ouvriers de la cellule jusqu’au conseil national a été réduit considérablement. La disparition des cellules d’entreprise en raison des liquidations d’activités et de la désindustrialisation a conduit à cette baisse des effectifs ouvriers. Cependant cette baisse n’explique pas à elle seule comment les organismes de direction ont notablement vu diminuer leurs effectifs ouvriers.
Cette diminution est en rapport avec la disparition d’une politique de recrutement et de formation des cadres qui privilégiait le recrutement de militants ouvriers, orientation elle-même en rapport avec les abandons théoriques du PCF sur le rôle dirigeant que la classe productrice devrait avoir dans la société pour l’émanciper de la domination capitaliste et des aliénations qui en découlent.
Il ne s’agit pas ici de critiquer les efforts théoriques conséquents de toute une génération de militants qui ont enrichi le patrimoine du parti et ont fait avancer la créativité du marxisme, il s’agit d’observer la réalité selon laquelle des dirigeants ont pu sous prétexte d’indispensables innovations théoriques de qualité, entamer une révision et un abandon de concepts du marxisme qui n’ont pas perdu leur pertinence dans la réalité des 60 dernieres années et ce jusqu’à maintenant comme celui de la dictature du prolétariat ou sur le plan organisationnel du centralisme démocratique.
Le patrimoine théorique d’avant cette période qui pouvait aussi avoir bien des aspects dogmatiques, avait également des atouts démontrés, une richesse opératoire qui a permis à des dizaines de milliers de militants ouvriers de posséder une grande culture et les bases organisationnelles pour animer la lutte politique, le combat idéologique, la vie d’un parti en lien dialectique permanent avec le peuple grâce aux cellules d’entreprises et de quartier.
Il s’agit de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain comme cela a été fait bien trop rapidement sous prétexte d’eurocommunisme, de mutation et avec précipitation opportuniste après la destruction de l’URSS.
Le PCF que j’ai connu au début des années 70 était composé de militants qui étudiaient ensemble l’economie, la philosophie, les méthodes d’organisation démocratique liées au principe du centralisme démocratique spécifique à toutes les organisations socialistes qui avaient adhéré aux conditions de l’internationale léniniste afin de ne pas réitérer la trahison des élus socio-démocrates ayant soutenu la guerre impérialiste. Ce très riche patrimoine de militantisme et d’expériences sociales et politiques a été abandonné progressivement à partir de la période eurocommuniste (PCF-PCI-PCE), abandons confirmés par Robert Hue et sa bande qui ont voulu en s’appuyant sur le désarroi causé par la fin de l’URSS et la forte reduction d’influence organisationnelle et électorale du parti transformer le PCF en un parti bourgeois de communication inventant un communisme mutant deconnecté totalement d’une analyse de classe sérieuse des réalités nationales et internationales.
Il s’agissait pour cette direction de liquider la base ouvrière du parti, ses cellules et de transformer le PCF en un produit de marketing électoral en inventant un nouveau « communisme », en emboitant le pas aux analyses bourgeoises des difficultés du socialisme en URSS et dans les pays d’Europe de l’Est notamment en les dissociant de la crise de l’impérialisme ce qui est un non-sens marxiste.
Il s’agissait du même coup de devenir un supplétif de la social-démocratie en conservant le nom de « communiste » en raison de l’attachement historique de milliers de travailleurs à la forte symbolique de ce mot mais d’en vider la substance théorique en inventant une réinterprétation du marxisme affirmant un « communisme déjà là » sur la base de confusion des concepts et notamment sur celui du communisme tel qu’exprimé par Marx et Engels : « Pour nous, le communisme n'est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu’elles existent actuellement. »
Car l’idée d’un « communisme déjà là » est trompeuse, elle suggère que le communisme serait déjà établi au sein du capitalisme, et par extension qu’il suffirait d’attendre que le capitalisme perisse de sa propre crise pour que le communisme puisse s’épanouir.
Or nos camarades Marx et Engels écrivent avec raison que le communisme est un mouvement , le mouvement réel de la lutte des classes à l’époque du capitalisme qui abolit l’état actuel des choses.
Abolir c’est faire disparaitre cet ordre et le remplacer par un autre qui est celui du renversement de la domination de classe, du passage historique d ´un mode de production hégémonique (capitaliste) à un autre mode de production hégémonique de nature differente (socialiste). C’est ce mouvement de la transition socialiste par la formation d’alliances et de luttes qui permet aux classes dominées non capitalistes de devenir dominantes, autrement dit ce moment d’intenses luttes entre dominant/dominés qui se traduit par des conquêtes sociales et politiques, de nouveaux droits et des pouvoirs conquis par des décisions economiques, politiques, juridiques, qui permettent au peuple d’empêcher les grands capitalistes de dominer l’ensemble de la société, décisions et moments démocratiques, où les avancées sont plus nombreuses que les reculs dans le combat, que Marx et Engels définiront sous le terme de « dictature du prolétariat » qui est le moment dans l’affrontement de classe où la classe dominante n’a pas encore tout perdu de ses pouvoirs mais les perd progressivement au point d’en être petit à petit dépossédée.
En abandonnant les fondamentaux du marxisme, les révisionnistes ont bien compris qu’ils priveraient les travailleurs d’outils théoriques permettant d’envisager une telle perspective révolutionnaire et ramenant l’idée du communisme dans le seul cadre de l’électoralisme et de celui d’institutions faites pour la domination de la classe capitaliste. Ces mêmes révisionnistes qui en général ont eu des parcours politiques qui leur ont permis d’être permanents du parti en cumulant des postes politiques et des mandats d’élus parfois durant plus d’une ou deux décennies, voire trois, se sont coupés pour beaucoup du monde du travail et de ses réalités même si on ne peut généraliser ce phénomène. Il est notable en région parisienne que ce phénomène a affecté sérieusement la « banlieue rouge » qui petit à petit a perdu son influence communiste du fait d’une tendance à la monopolisation par les élus de décisions qui devaient être débattues et prises par les instances locales du parti, gravissime erreur pour certains et volonté délibérée pour d’autres qui ont conduit à l’insuffisance thèorique, politique, organisationnelle du parti au moment où la crise capitaliste entrait dans une nouvelle phase critique.
Le parti ne pourra pas faire l’économie de cette introspection sur les 60 dernières années si a contrario du déclin qui n’a cessé, il veut redevenir le parti populaire utile aux travailleurs et aux intérêts nationaux en se reconstruisant avec le couplage d’un marxisme vivant et les forces du travail et de la création dans notre pays.
Pour avancer dans cette voie, Il nous faut se donner l’objectif du recrutement des ouvriers et travailleurs de la production pour que la classe ouvrière fasse du PCF son outil d’emancipation pour elle et en alliance avec les autres classes subissant la domination du grand capital dans le but de libérer toute la société.
Dès aujourd'hui nous devons redonner à la classe ouvrière les raisons d'espérer, cela passe par des propositions économiques alternatives couplées à une conscience du rôle des idées dans la lutte des classes. Il est nécessaire pour cela que le parti communiste démontre comment le capitalisme est un mode de production aux capacités de domination extrêmement adaptatives. En effet le capitalisme est aussi une organisation sociale qui pour la première fois dans l’histoire a placé aussi puissamment la lutte idéologique comme condition de sa survie. Au fur et à mesure de son développement il démontre les énormes capacités qu’a la classe ouvrière à satisfaire les besoins de la société et en même temps il les limite, voire les détruit, pour répondre aux besoins de suraccumulation du capital de la grande bourgeoisie. C’est la compréhension de cette contradiction dialectique dans tous les domaines de la vie sociale qui est la clef de la constitution de la classe ouvrière en classe consciente d’elle-même et pour cette compréhension elle a besoin d’un intellectuel collectif, d’une organisation communiste qui permette à chacun d’être un acteur critique et conscient de la transformation sociale.
Le parti doit donc en permanence se préoccuper de la transmission du patrimoine historique du mouvement ouvrier et communiste à la jeune génération car le capitalisme fonde aussi son exploitation sur l’oubli, l’amnésie historique de celle-ci, de ses crimes et de ses responsabilités dans les répressions du mouvement d’émancipation, les plus grands génocides et guerres de l’histoire.
On pourra remarquer que depuis quelques mois le PCF qui est travaillé par sa contradiction entre une tendance réformiste et une tendance révolutionnaire s’est doté d’un secrétaire national beaucoup plus attentif au travail collectif que ses prédécesseurs. Cela se traduit par le fait que Fabien Roussel, choisi par les adhérents comme candidat du PCF à la présidentielle a multiplié les rencontres avec les ouvriers se déplaçant dans de nombreuses entreprises sur tout le territoire et ce depuis son election en 2018 comme secrétaire national. Il a axé toute sa campagne sur le monde du travail et la nécessité de développer les forces productives nationales. Est-ce l’hirondelle qui annonce un nouveau printemps du communisme en France ou une posture électoraliste ? L’activité du PCF, les résultats aux prochaines élections et son prochain congrès nous indiqueront si la tendance vers une orientation révolutionnaire de réappropriation par la classe ouvrière de son parti se confirme ou pas. Sans cette réappropriation du parti par le monde du travail et en son sein par la classe ouvrière il n’y aura aucune perspective socialiste pour la France.